Le sujet signalé par Quintilien comme un trait d’éloquence fameux avait retenu nombre d’artistes avant Mottez, Baudouin en 1763, Peytavin en 1800, Victor Robert en 1846, etc. Mais c’est Gérôme, lors du Salon de 1861, qui livra l’interprétation appelée à surclasser ces précédents, bien étudiés par Bernard Vouilloux en 2002 (Le Tableau vivant, Phryné et le peintre, Flammarion). Aujourd’hui le tableau de Hambourg, encadré de grecques, continue à désarmer par son mélange de fière plastique et de mauvais goût, de sobriété décisive et de pittoresque bavard, de vrai réalisme et de citations académiques. La stupéfaction des juges, ridiculement caricaturés, sert avant tout à justifier « la pointe de gaillardise » (Zola) et le voyeurisme contagieux. Tableau en abîme, donc, sans catharsis, où la luxure des uns réveille celle des autres. On peut même parler de sadisme à propos de cette apparition d’une Phryné très jeune, entièrement nue, contrairement à ce que disaient les anciens textes, et enfouissant son visage dans le creux de des bras. Dieu que la libido de Gérôme était compliquée ! Quant à la peinture d’histoire, infléchie depuis le Combat de coqs, elle s’est débarrassée de la noblesse et de la vertu qui en fondaient l’esthétique et la morale. Plus qu’à la scène de genre, elle puise ici à la pornographie du temps, comme celle des photographies interdites (on aurait pu en montrer un ou deux exemples, au demeurant). Ce corps donné en spectacle, marbre épilé, chair sans rayonnement, résume aussi les ambiguïtés et la lubricité du nu de Salon. Son réalisme incomplet, son feu à moitié éteint, en autorisaient la diffusion publique. Praxitèle, dont la pose de Phryné chez Gérôme se souvient vaguement, n’usait pas de tels stratagèmes pour enflammer ses contemporains. De l’échange érotique au peep-show, sinistre évolution.
Stéphane Guégan
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